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Francia-Recensio 2012/1
19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine


Tilman P. Fichter, Siegward Lönnendonker, Dutschkes Deutschland. Der Sozialistische Deutsche Studentenbund, die nationale Frage und die DDR-Kritik von links, Essen (Klartext) 2011, 317 S., ISBN 978-3-8375-0481-1, EUR 14,95.

rezensiert von/compte rendu rédigé par Anne-Marie Corbin, Paris

Tilman P. Fichter et Siegward Lönnendonker proposent avec cet ouvrage une synthèse sur l‘Association socialiste des étudiants allemands, le Sozialistischer Deutscher Studentenbund (SDS), en insistant sur la question nationale allemande et la critique de la RDA d’un point de vue de gauche. Les deux auteurs ont été eux-mêmes membres du SDS au cours des années 1960. Ils tentent ici de réfuter les thèses de l’historien Hubertus Knabe, accusant le SDS d’avoir été infiltré par la Stasi: seuls deux IMs (Inoffizielle Mitarbeiter) auraient réussi à être introduits dans le SDS à la fin des années 1950 et le début des années 1960 et deux autres dans son organisation berlinoise. Contrairement à Knabe, ils minimisent l’impact des actions de la Stasi sur la vie culturelle à l’Est et à l’Ouest et considèrent les différences culturelles que l’on peut encore constater comme des conséquences de la guerre froide. À l’appui de leurs thèses, ils produisent une importante documentation (p. 137–300).

 

 Leur propre introduction est précédée de deux prises de position de témoins de l’époque, l’une de l’Est, l’autre de l’Ouest. Ainsi, l’écrivain Rolf Schneider met l’accent sur l’animosité constante entre le SED et le SPD qui culmina dans les années 1960 à Berlin après la construction du Mur et avant l’amorce d’une certaine détente. La génération des soixante-huitards, essentiellement issue d’une bourgeoisie cossue, tenta d’imposer une remise en cause radicale de la société selon des critères marxistes-léninistes, acquis au terme de la lecture studieuse des oeuvres complètes des pères fondateurs. Le SDS n’admit pas pour autant les options politiques des dirigeants de la RDA qui leur rendaient bien leur défiance et les accusaient de »déviationnisme«. Exception faite des membres de la Rote Armee Fraktion (RAF, Fraction armée rouge), le mouvement »anti-autoritaire« d’Allemagne de l’Ouest subissait à l’Est la même stigmatisation que les dissidents est-allemands. C’est à Christian Semler – lui aussi ancien membre du SDS et, depuis les années 1980, journaliste à la »tageszeitung« (»taz«) – qu’il revient de présenter le point de vue ouest-allemand. À ses yeux, c’est toute une génération qui se révolta contre ses »pères« et fit preuve d’un antifascisme militant. Rudi Dutschke, l’une des personnalités les plus actives du mouvement, était originaire de RDA. S’il s’intéressait à la question nationale allemande, sa priorité était l’autodétermination de l’individu. Il n’est donc guère étonnant que le SDS ait été si réticent face au socialisme mis en place à l’Est.

 

 La première partie de cet ouvrage est consacrée à l’époque où la rupture entre le SDS et le SPD n’était pas encore totale. Dans l’immédiat après-guerre, le SPD avait conçu les Jungsozialisten (»Jusos«) comme une organisation interne au parti, distincte des Falken, et réservée aux jeunes jusqu’à l’âge de 35 ans. Le SDS fut fondé en 1946 à Hambourg lors d’une séance qui se déroula sous les portraits de Kant et de Marx (un paradoxe qui était habituel depuis toujours chez les austro- marxistes). Il s’aligna dans un premier temps sur les positions de Kurt Schumacher qui prônait l’étude du marxisme et l’édification d’un socialisme démocratique pour mieux contrer le communisme moscovite sur le territoire allemand. Mais le SDS revendiqua d’emblée son autonomie par rapport au parti et recruta ses membres dans les milieux intellectuels, en particulier à l’université. Les divergences, qui éclatèrent au milieu des années 1960, n’étaient pas pour autant inexistantes auparavant dans la définition de stratégies, en particulier par rapport au KPD ouest-allemand, interdit en 1956. La majorité du SDS, craignant une partition définitive de l’Allemagne, prit également parti contre son réarmement. La fraction la plus radicale du SDS, qui se concentrait à Francfort autour de la revue Konkret, où travaillait déjà Ulrike Meinhof, fut exclue du SDS en 1959 à cause de la pression qu’elle faisait monter contre le bureau du SPD. Autre date marquante de cette première période: 1959, où les étudiants réunis en congrès à Berlin refusèrent l’arme atomique.

 

La seconde partie évoque la période 1964–1968. En mai 1964 une délégation officielle du SDS participa aux Rencontres allemandes organisées par la FDJ (Freie Deutsche Jugend) est-allemande à Berlin-Est. Hellmut Lessing, vice-président national du SDS, s’exprima à la tribune pour revendiquer l’autonomie de la science et refuser son instrumentalisation pour des raisons politiques (contre la RDA) ou économiques (contre la RFA). Il proclama également l’indépendance du SDS et réclama la libération des prisonniers politiques à l’Est comme à l’Ouest. Le SDS se solidarisa notamment avec le philosophe Robert Havemann, exclu en 1966 de la Deutsche Akademie der Wissenschaften der DDR pour ses positions hostiles au régime. Peu à peu, au sein du SDS, l’engagement contre la guerre au Vietnam, la législation d’exception (Notstandsgesetzgebung) et la presse Springer prirent le pas sur la lutte pour la »question nationale allemande«. Les événements de 1967–1968, qui conduisirent à l’émergence de l’APO (Außerparlamentarische Opposition), sont trop peu évoqués – ce qu’il faut déplorer. Quand ils le sont, c’est de manière fragmentaire, répartie sans respecter la chronologie sur l’ensemble de l’ouvrage, sauf pour insister sur les nombreuses manifestations après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars soviétiques (et est-allemands) en été 1968. On trouve, en revanche, quelques développements sur les »informateurs inofficiels« et leur rôle au SDS, ce qui cadre bien avec le ton polémique de l’ouvrage contre l’historiographie allemande et Knabe en particulier.

L’ouvrage se clôt sur quelques pages consacrées à Rudi Dutschke. Il y est fait allusion à deux débats. Le premier eut lieu entre Dutschke lui-même et notamment Hans Magnus Enzensberger et porta sur l’APO, l’avenir de Berlin-Ouest et la transformation de la société allemande au cours d’un processus révolutionnaire. Quant au second, Dutschke le mena, quelques mois avant son décès en 1979, avec Egon Bahr, le père du rapprochement de la RFA avec la RDA et de la politique à l’Est de Willy Brandt.

Un coup d’oeil à l’index permettra de constater les manques de cet ouvrage pour la période la plus importante de l’activité du SDS à la fin des années 1960. Dommage que la volonté polémique l’ait emporté à ce point sur la clarté de l’exposé. Cependant, après les révélations du Spiegel de janvier 2012 sur les circonstances du décès de Benno Ohnesorg, il sera utile de relire l'introduction (en particulier p. 27-30) qui apporte des précisions intéressantes sur Karl-Heinz Kurras.